LâenvolĂ©e du cours du Bitcoin en a fait un Ă©lĂ©ment Ă part entiĂšre du patrimoine financier. De par leur nature particuliĂšre, saisir des bitcoins nâest pas impossible mais peut sâavĂ©rer complexe. Le point sur la procĂ©dure par Me CARRIER, avocat spĂ©cialisĂ© dans les monnaies virtuelles.
Cas pratique : mariĂ©(e) sous le rĂ©gime de la communautĂ© lĂ©gale depuis 2010, vous envisagez de divorcer de votre conjoint(e). Lequel (laquelle) a, vous le savez, une passion dĂ©vorante pour les actifs numĂ©riques. A ce titre, il (elle) a acquis des Bitcoins en janvier 2013, alors au cours unitaire de 25âŹ. Une bonne affaire alors ! Pour vous aussi, car le divorce met fin Ă lâindivision commune et a pour effet de liquider la communautĂ©.
Avant de saisir des bitcoins : le titre exécutoire
Avant dâenvisager de vous saisir les prĂ©cieux Bitcoins auxquels vous pensez avoir droit, il faut un titre exĂ©cutoire.
Le rĂ©gime de la communautĂ© rĂ©duite aux acquĂȘts prĂ©voit que tous les biens acquis par chacun des Ă©poux pendant le mariage sont des biens relevant de la communautĂ©. Ainsi, au moment du divorce, ces biens seront partagĂ©s Ă parts Ă©gales entre les deux Ă©poux. A moins que lâun des deux Ă©poux demande Ă se voir attribuer un bien particulier Ă titre prĂ©fĂ©rentiel, Ă charge pour lui de rĂ©gler une soulte en compensation.
Partage amiable ou judiciaire
Le partage peut ĂȘtre amiable et homologuĂ© par un juge. Il peut Ă©galement ĂȘtre judiciaire et rĂ©alisĂ© par un notaire dĂ©signĂ© par un juge.
Dans les deux cas, le partage sera in fine constatĂ© dans un jugement, lequel sera un titre exĂ©cutoire permettant dâen obtenir lâexĂ©cution.
Dans un monde idĂ©al, chaque conjoint est honnĂȘte et dĂ©clare spontanĂ©ment les biens acquis pendant le mariage. Plus souvent, câest au conjoint qui souhaite la liquidation dâun bien de prouver quâil entre dans la communautĂ©.
On le sait, le Bitcoin présente à ce titre deux difficultés majeures :
- il est consomptible par lâusage et Ă ce titre, fongible.
- le transfert de propriĂ©tĂ© sâopĂšre via une clĂ© privĂ©e qui peut ĂȘtre facilement dissimulĂ©e.
De fait, saisir des bitcoins peut sâavĂ©rer aussi difficile quâapprĂ©hender de lâargent liquide.
Comment prouver lâexistence de Bitcoins acquis pendant le mariage
Face Ă cela, le juriste ne peut offrir de solution toute faite, si ce nâest encourager le conjoint demandeur Ă recueillir le maximum de preuves de lâexistence de ces Bitcoins et de leur date dâacquisition (relevĂ©s bancaire Ă©ventuellement, captures dâĂ©cran âŠ).
Il faudra, en outre, dĂ©montrer que le conjoint est bien le titulaire des droits sur les Bitcoins qu’il envisager de saisir.
Il suffira, pour cela, dâappliquer Ă la lettre lâarticle 2276 du Code civil:
« En fait de meubles, possession vaut titre ».
Saisir les bitcoins avec le concours de l’huissier de justice
Une fois le jugement acquis, le conjoint refuse de se séparer de sa clé privée.
Que faire alors ?
Lâhuissier dispose dâun titre exĂ©cutoire lui permettant de saisir les Bitcoins.
Hors situation de divorce, il est tout aussi intĂ©ressant de sâinterroger sur la saisissabilitĂ© des Bitcoins afin dâobtenir le recouvrement de sa crĂ©ance.
Or, rares sont les huissiers sensibilisés à la technologie Blockchain et aux procédures de saisie des actifs numériques.
Pour rappel, un actif numérique est, en droit français, un bien meuble incorporel.
Or le droit des procĂ©dures civiles dâexĂ©cution sâest saisi du processus de dĂ©matĂ©rialisation amorcĂ© Ă la fin du XXe siĂšcle.
La loi n°91-650 du 9 juillet 1991 a ainsi prĂ©vu une procĂ©dure particuliĂšre de saisie des biens meubles incorporels, qui est celle s’appliquant, par exemple, aux actions ou parts sociales d’une entreprise.
Il est notamment prĂ©vu que la saisie peut s’effectuer entre les mains d’un tiers qui dĂ©tient les biens pour le compte du dĂ©biteur, par exemple, la plateforme d’Ă©change.
Les Bitcoins Ă©tant un bien incorporel, leur apprĂ©hension se fait nĂ©cessairement par lâintermĂ©diaire de leur support matĂ©rialisable: la clĂ© privĂ©e.
La saisie conservatoire pour protéger ses droits sur les Bitcoins
Le crĂ©ancier peut vouloir rendre indisponible les Bitcoins sans pour autant les apprĂ©hender imĂ©diatement. A cet effet, il peut solliciter une saisie conservatoire dans lâattente de la saisie dĂ©finitive. Cela peut avoir son intĂ©rĂȘt en fonction du cours du Bitcoin, comme expliquĂ© infra. Cette saisie conservatoire peut ensuite ĂȘtre convertie en saisie-vente.
Bien sĂ»r, sâil estime cette saisie injustifiĂ©e, le dĂ©biteur peut en demander la mainlevĂ©e.
De principe, tous les biens mobiliers et immobiliers du dĂ©biteur peuvent ĂȘtre saisis.
Compte tenu de la fongibilitĂ© des Bitcoins et de leur difficultĂ© dâapprĂ©hension, lâhuissier devra ĂȘtre rĂ©actif et mettre rapidement en Ćuvre tous les moyens dâaction Ă sa disposition. Votre avocat est lĂ pour vous conseiller sur la procĂ©dure la plus efficace mais Ă©galement pour orienter lâhuissier.
La procédure applicable pour saisir des Bitcoins
Lâhuissier pourra ĂȘtre aidĂ© dans son travail par lâobligation, depuis le 1er janvier 2019, de dĂ©clarer ses comptes crypto Ă lâĂ©tranger ouverts ou fermĂ©s.
La procĂ©dure particuliĂšre aux saisies de biens meubles incorporels ne vise actuellement que la saisie des droits dâassociĂ©s et valeurs mobiliĂšres, brevets et licences.
NĂ©anmoins, on peut adapter les rĂšgles existantes aux actifs numĂ©riques. Câest, justement, la mĂ©thodologie appliquĂ©e aux licences qui ne bĂ©nĂ©ficiaient pas de textes spĂ©cifiques. Saisie de cette difficultĂ©, la Cour de cassation leur a appliquĂ© le rĂ©gime de saisie des valeurs mobiliĂšres et droits dâassociĂ©s prĂ©vu aux articles R231-1 et suivants du CPCE, sous rĂ©serve dâadaptation.
Le mĂȘme raisonnement peut ĂȘtre appliquĂ© aux actifs numĂ©riques, dont lâalignement avec les valeurs mobiliĂšres est de plus en plus Ă©vident. Preuve en est le nouveau rĂ©gime fiscal qui leur est applicable depuis le 1er janvier 2019, directement calquĂ© sur les plus-values de valeurs mobiliĂšres. En outre, la « tokenisation » des valeurs mobiliĂšres se dĂ©veloppe de plus en plus.
Le régime de la saisie des biens meubles incorporels
Ainsi, lâarticle L 231-1 du CPCE Ă©nonce que
« tout crĂ©ancier muni dâun titre exĂ©cutoire constatant une crĂ©ance liquide et exigible peut faire procĂ©der Ă la saisie et Ă la vente des droits incorporels, autres que les crĂ©ances de somme dâargent, dont son dĂ©biteur est titulaire ».
Dans la procĂ©dure de saisie de droits dâassociĂ©s et valeurs mobiliĂšres, celle-ci dĂ©bute par la signification, par huissier, Ă la personne qui gĂšre le compte-titre du dĂ©biteur.
Dans le cas dâactifs numĂ©riques, leur existence nâest pas matĂ©rialisĂ©e par un compte titre mais par une clĂ© privĂ©e. Cette clĂ© privĂ©e peut ĂȘtre importĂ©e dans un wallet (portefeuille Ă©lectronique) mais Ă©galement conservĂ©e sur un bout de papier.
Le CPCE envisage deux cas de figure:
Cas n°1 : le bien meuble incorporel est « nominatif »; dans ce cas, il est saisi auprÚs du mandataire de la société
Cas n°2: le bien meuble incorporel est « au porteur »: dans ce cas il est saisi auprĂšs de l’intermĂ©diaire qui en a assurĂ© l’inscription.
DĂšs lors rien n’empĂȘcherait le crĂ©ancier de faire saisir les actifs numĂ©riques auprĂšs de la plateforme qui les dĂ©tient.
Le régime de la saisie attribution
La saisie attribution est une procĂ©dure exclusivement rĂ©servĂ©e aux crĂ©ances de « somme d’argent » (art. L 211-1 CPCE).
Elle permet au crĂ©ancier de saisir entre les mains d’un tiers, Ă condition que sa crĂ©ance soit liquide et exigible.
Par exemple, un crĂ©ancier peut demander une saisie sur votre compte bancaire par l’intermĂ©diaire de l’Ă©tablissement bancaire.
En principe, la saisie attribution ne devrait pas pouvoir s’appliquer aux actifs numĂ©riques.
Mais une décision récente du Tribunal de commerce de Nanterre est venue remettre en question ce principe, en tout cas concernant le Bitcoin.
En effet, les juges ont considĂ©rĂ©, sur la question de savoir si le prĂȘt de bitcoins relevait du prĂȘt d’usage ou du prĂȘt de consommation:
Que le prĂȘt de consommation porte sur des choses fongibles et consomptibles, que ce soit pour payer des biens ou des services, pour l’Ă©changer contre des devises ou pour le prĂȘter, tout comme la monnaie lĂ©gale, quand bien mĂȘme il n’en est pas une; que le BTC est donc consomptible de par son usage »
DĂšs lors, si le Bitcoin est assimilable Ă une monnaie, dans la mesure oĂč le CPCE fait rĂ©fĂ©rence Ă une « somme d’argent« , sans employer le terme « devise », on peut se poser la question de savoir si la saisie-attribution ne serait pas la procĂ©dure la plus adĂ©quate pour la saisie de Bitcoins.
Ce d’autant plus que dans le cadre d’une saisie-attribution, le crĂ©ancier entre en possession de la crĂ©ance sans avoir Ă rĂ©aliser de procĂ©dure de vente telle que nous allons le voir plus loin.
Comment saisir une clé privée contenant des Bitcoins ?
Si le dĂ©biteur dĂ©tient ses Bitcoins en propre, il va falloir saisir la clĂ© privĂ©e, câest-Ă -dire la rendre indisponible.
Câest lĂ que les choses deviennent vĂ©ritablement complexes.
Dans le cas dâune licence, la saisie est signifiĂ©e Ă lâautoritĂ© qui a attribuĂ© cette licence. Par exemple, la mairie est avertie de la saisie dâune licence de dĂ©bit de boissons.
Mais dans le cas du Bitcoin ?
Il est impossible de signifier lâacte de saisie Ă une blockchain publique. Celle-ci nâa, par dĂ©finition, ni tiers de confiance ni reprĂ©sentant centralisĂ©.
Il est possible de contourner la difficultĂ© en signifiant lâacte de saisie au tiers qui fournit au dĂ©biteur la solution de portefeuille Ă©lectronique, quâelle soit en ligne ou hors ligne.
Lâessentiel Ă©tant que ce tiers ait le pouvoir de rendre indisponible les Bitcoins pour le dĂ©biteur.
Comme on le constate, la décentralisation inhérente à la cryptomonnaie complique nécessairement la procédure.
La vente des Bitcoins saisis
Si son cours sâest quelque peu stabilisĂ©, la cryptomonnaie historique continue de profiter des hausses et baisses conjoncturelles.
De fait, câest une crypto monnaie quâon thĂ©saurise de plus en plus et quâon Ă©change de moins en moins.
La difficulté du régime actuel de saisie des biens meubles incorporels est que la seule issue est de vendre le bien incorporel saisi. Le créancier ne peut donc, en recouvrement de sa créance, appréhender les Bitcoins dans le but de les conserver.
Ainsi, le dĂ©biteur dispose dâun dĂ©lai dâun mois pour vendre Ă lâamiable. A dĂ©faut, la vente est rĂ©alisĂ©e par un tiers.
Dans le cas des valeurs mobiliÚres, cette vente est assurée, soit par un agent de change pour les valeurs cotées sur un marché rÚglementé, soit par un notaire pour les autres valeurs.
On peut, dĂšs lors, facilement adapter cette procĂ©dure aux Bitcoins saisis. Ceux-ci seront alors vendus aux enchĂšres, le cahier des charges de la vente devant ĂȘtre Ă©tabli par le crĂ©ancier poursuivant.
Lors de cette étape complexe, celui-ci peut se faire assister par un avocat spécialisé en droit des monnaies virtuelles.
Si vous ĂȘtes crĂ©ancier dâun dĂ©biteur possĂ©dant des Bitcoins, notre cabinet peut vous aider. Nous possĂ©dons les connaissances juridiques et techniques nĂ©cessaires pour orienter lâhuissier dans les dĂ©marches de recouvrement forcĂ© et vous assister dans les procĂ©dures de saisie.
Vous possédez des Bitcoins et ne savez pas comment les déclarer? On vous explique tout dans cet article !