La France deviendra-t-elle une crypto nation ? AprĂšs la fixation par la loi PACTE dâun cadre de rĂ©gulation applicable aux acteurs de la Blockchain, la Banque de France a indiquĂ© expĂ©rimenter en 2020 un stablecoin dont le cours serait indexĂ© sur lâeuro. A la suite de cette annonce, plusieurs « crypto-dĂ©putĂ©s » (ayant fait partie des travaux parlementaires sur la blockchain) ont proposĂ© dâaller plus loin en crĂ©ant une cryptomonnaie europĂ©enne.
Un stablecoin euro pour concurrencer le Libra de Facebook
La position française est assumĂ©e : crĂ©er un cadre propice Ă lâĂ©conomie des actifs numĂ©riques mais protĂ©ger sa souverainetĂ© monĂ©taire.
En dâautres termes, lâinitiative dâun stablecoin, qui pourrait concurrencer directement une monnaie nationale, doit ĂȘtre rĂ©servĂ©e aux Etats.
Lâenjeu de la souverainetĂ© monĂ©taire face aux intĂ©rĂȘts privĂ©s
A la confĂ©rence de lâOCDE portant sur lâavenir de la Blockchain, Bruno Lemaire exposait notamment sa crainte de voir des multinationales Ă intĂ©rĂȘts privĂ©s sâemparer du phĂ©nomĂšne du stablecoin :
Cet avenir des technologies numĂ©riques, il implique quâun Ă©quilibre soit trouvĂ© entre les nouvelles technologies et le respect de la souverainetĂ© des Etats. Cette difficultĂ©, elle se pose trĂšs directement sur le projet de monnaie Libra qui est portĂ©e par Facebook.
Le Ministre vise directement le géant Facebook, qui prévoit de lancer sa monnaie virtuelle en 2020.
En effet, la crypto-monnaie que Facebook entend utiliser pour le rĂšglement de certains de ses services soulĂšve de nombreuses questions.
Tout dâabord, cette crypto-monnaie sera contrĂŽlĂ©e par une entreprise amĂ©ricaine, et donc hors du pĂ©rimĂštre de contrĂŽle de la rĂšglementation AML.
En effet, malgrĂ© les promesses de laisser la gestion Ă une organisation sans but lucratif, qui peut garantir que cette monnaie virtuelle ne servira pas des intĂ©rĂȘts privĂ©s ?
Cela ne peut quâinquiĂ©ter les rĂ©gulateurs qui y voient lĂ un moyen idĂ©al de blanchir des capitaux et de financer le terrorisme. Surtout quand on sait que Facebook est un rĂ©seau social dĂ©jĂ plĂ©biscitĂ© par les terroristes pour leur propagande djihadiste.
Les GAFA, nouvelles nations du XXIe siĂšcle ?
Ensuite, la perspective de laisser un GAFA sâinsĂ©rer encore un peu plus dans notre quotidien, ponctionner encore et toujours nos donnĂ©es (personnelles ou non personnelles), est-ce rĂ©ellement un progrĂšs pour nos libertĂ©s individuelles ?
Quel usage sera fait par Facebook des donnĂ©es relatives Ă nos façons de dĂ©penser notre « argent » (quâil soit virtuel ou sonnant et trĂ©buchant) ? Ces donnĂ©es vont-elles servir Ă de nouveaux algorithmes destinĂ©s Ă nous proposer toujours plus de publicitĂ© ciblĂ©e, visant Ă nous faire dĂ©penser toujours plus ?
Il nâest pas certain que le projet Libra aille au bout, tant sâallonge la liste des poids lourds qui se retirent petit Ă petit du projet (Mastercard, Visa, Paypal, Stripe, EbayâŠ).
NĂ©anmoins cela nous oblige Ă rĂ©flĂ©chir Ă notre rapport en tant quâindividu Ă lâEtat.
Symboliquement, quand on rĂ©alise que Facebook a prĂšs de 2 milliards dâutilisateurs, un monopole Ă©conomique souverain sur son segment, avec une monnaie officielle, que lui manquerait-il pour ĂȘtre le plus grand Etat jamais crĂ©Ă©Â ?
Nâoublions pas que la toute puissance des GAFA coĂŻncide avec un affaiblissement des institutions et une mĂ©fiance de plus en plus grande vis-Ă -vis du pouvoir rĂ©galien dont, par dĂ©finition, la monnaie officielle est lâune des constituantes.
LâEurope est-elle vraiment prĂȘte pour le stablecoin euro?
A la suite de lâannonce triomphante de la Banque centrale, trois dĂ©putĂ©s français pro-blockchain ont proposĂ© dâaller plus loin dans lâidĂ©e dâune crypto-monnaie « dâEtat(s) ».
Dans un communiquĂ© commun, Pierre PERSON (dĂ©jĂ bien connu), Laure DE LA RAUDIERE et Michel MIS (tous deux dĂ©putĂ©s ayant participĂ© au rapport dâinformation sur la Blockchain) ont appelĂ© Ă la crĂ©ation dâune monnaie virtuelle au niveau europĂ©en, qui serait Ă©mise par les banques commerciales:
Les entrepreneurs français que nous rencontrons nous disent quâils veulent un stablecoin euro, que cela nâaurait pas de sens pour eux dâĂȘtre installĂ©s en France si toutes leurs transactions sâeffectuaient avec un stablecoin adossĂ© au dollar.
Cela signifie-t-il que les Etats vont sâapproprier la circulation des monnaies virtuelles, grĂ ce au stablecoin?
Pas nécessairement.
La crise de légitimité de la Banque de France
Tout dâabord, le projet de stablecoin de la Banque de France est relativement circonscrit.
Cette « monnaie digitale de banque centrale » (MDBC) serait rĂ©servĂ©e exclusivement aux paiements entre acteurs du secteur financier : le grand public a donc peu de chance dâen voir un jour la couleur.
En outre, ne faut-il pas voir dans cette initiative une volontĂ©, tardive, de reprendre le contrĂŽle dâune monnaie qui lui Ă©chappe peut-ĂȘtre dĂ©jĂ complĂštement ?
Les banques centrales de tous Etats, y compris la banque de France ont Ă©tĂ© complĂštement dĂ©passĂ©es par lâĂ©mergence des crypto-monnaies. Leur position a longtemps Ă©tĂ© (et peut-ĂȘtre lâest-elle encore officieusement) conservatrice et excessivement mĂ©fiante vis-Ă -vis des monnaies virtuelles. On se souvient que jusquâen 2018, la Banque de France nâa cessĂ© de crier sa mĂ©fiance Ă lâĂ©gard des crypto-monnaies.
Dans un communiquĂ© de 2018, la Banque de France refutait lâutilitĂ© dâune « crypto-monnaie de banque centrale » :
Un tel projet nâest, Ă lâheure actuelle, pas envisagĂ© au sein de lâEurosystĂšme, oĂč le billet reste dâun usage trĂšs rĂ©pandu et oĂč les utilisateurs disposent dâune large variĂ©tĂ© dâinstruments Ă©lectroniques de paiement efficaces, sĂ»rs et innovants â Ă lâimage du virement instantanĂ©. De plus, une telle Ă©volution soulĂšve â au-delĂ du traitement technique â des questions qui doivent encore ĂȘtre analysĂ©es en termes dâimpacts sur la mise en Ćuvre de la politique monĂ©taire, sur la structure du systĂšme financier, ou sur le nĂ©cessaire maintien dâun accĂšs â pour les populations les plus fragiles â Ă des moyens de paiement non digitaux, comme le billet
La « menace Libra » lâaura forcĂ©e Ă revoir sa position, mais nâest-ce pas dĂ©jĂ trop tard ?
En outre, nâoublions pas que les banques centrales sont en partie responsables de lâĂ©mergence des crypto-monnaies en rĂ©action Ă la crise des subprimes de 2008.
Or, pour reprendre cette cĂ©lĂšbre citation dâAlbert Einstein :
Un problĂšme crĂ©Ă© ne peut ĂȘtre rĂ©solu en rĂ©flĂ©chissant de la mĂȘme maniĂšre quâil a Ă©tĂ© crĂ©Ă©.
La Banque de France, comme toutes les banques centrales, souffre dâune crise de lĂ©gitimitĂ© qui nâen fait pas nĂ©cessairement le meilleur acteur de la transformation monĂ©taire.
Un concensus européen nécessaire au stablecoin euro
Toujours est-il que sur le plan europĂ©en, lâinstauration dâun stablecoin est loin dâĂȘtre gagnĂ©.
Tout dâabord, lâĂ©mission dâune monnaie virtuelle europĂ©enne officielle, indexĂ©e sur lâeuro, nĂ©cessiterait des nĂ©gociations avec lâensemble des Etats membres.
Aujourdâhui, ce point ne semble pas ĂȘtre la prioritĂ© du gouvernement français.
Ensuite, lâĂ©mission dâun stablecoin europĂ©en implique le dĂ©veloppement dâune infrastructure des paiements intra-europĂ©ens et internationaux.
On en est encore loin, les banques commerciales ne sâĂ©tant pas montrĂ©es particuliĂšrement intĂ©ressĂ©es, en tout cas pour le moment.
Par consĂ©quent, force est de constater que lâidĂ©e dâun stablecoin euro tient plus du buzz que dâun projet concret.
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