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Stablecoin Euro : Big Buzz ou Big Bang monétaire?

par 19 FĂ©v 2020Blockchain, Regulatory

La France deviendra-t-elle une crypto nation ? AprĂšs la fixation par la loi PACTE d’un cadre de rĂ©gulation applicable aux acteurs de la Blockchain, la Banque de France a indiquĂ© expĂ©rimenter en 2020 un stablecoin dont le cours serait indexĂ© sur l’euro. A la suite de cette annonce, plusieurs « crypto-dĂ©putĂ©s » (ayant fait partie des travaux parlementaires sur la blockchain) ont proposĂ© d’aller plus loin en crĂ©ant une cryptomonnaie europĂ©enne.

Un stablecoin euro pour concurrencer le Libra de Facebook

La position française est assumĂ©e : crĂ©er un cadre propice Ă  l’économie des actifs numĂ©riques mais protĂ©ger sa souverainetĂ© monĂ©taire.

En d’autres termes, l’initiative d’un stablecoin, qui pourrait concurrencer directement une monnaie nationale, doit ĂȘtre rĂ©servĂ©e aux Etats.

L’enjeu de la souverainetĂ© monĂ©taire face aux intĂ©rĂȘts privĂ©s

A la confĂ©rence de l’OCDE portant sur l’avenir de la Blockchain, Bruno Lemaire exposait notamment sa crainte de voir des multinationales Ă  intĂ©rĂȘts privĂ©s s’emparer du phĂ©nomĂšne du stablecoin :

Cet avenir des technologies numĂ©riques, il implique qu’un Ă©quilibre soit trouvĂ© entre les nouvelles technologies et le respect de la souverainetĂ© des Etats. Cette difficultĂ©, elle se pose trĂšs directement sur le projet de monnaie Libra qui est portĂ©e par Facebook.

Le Ministre vise directement le géant Facebook, qui prévoit de lancer sa monnaie virtuelle en 2020.

En effet, la crypto-monnaie que Facebook entend utiliser pour le rĂšglement de certains de ses services soulĂšve de nombreuses questions.

Tout d’abord, cette crypto-monnaie sera contrĂŽlĂ©e par une entreprise amĂ©ricaine, et donc hors du pĂ©rimĂštre de contrĂŽle de la rĂšglementation AML.

En effet, malgrĂ© les promesses de laisser la gestion Ă  une organisation sans but lucratif, qui peut garantir que cette monnaie virtuelle ne servira pas des intĂ©rĂȘts privĂ©s ?

Cela ne peut qu’inquiĂ©ter les rĂ©gulateurs qui y voient lĂ  un moyen idĂ©al de blanchir des capitaux et de financer le terrorisme. Surtout quand on sait que Facebook est un rĂ©seau social dĂ©jĂ  plĂ©biscitĂ© par les terroristes pour leur propagande djihadiste.

Les GAFA, nouvelles nations du XXIe siĂšcle ?

Ensuite, la perspective de laisser un GAFA s’insĂ©rer encore un peu plus dans notre quotidien, ponctionner encore et toujours nos donnĂ©es (personnelles ou non personnelles), est-ce rĂ©ellement un progrĂšs pour nos libertĂ©s individuelles ?

Quel usage sera fait par Facebook des donnĂ©es relatives Ă  nos façons de dĂ©penser notre « argent » (qu’il soit virtuel ou sonnant et trĂ©buchant) ? Ces donnĂ©es vont-elles servir Ă  de nouveaux algorithmes destinĂ©s Ă  nous proposer toujours plus de publicitĂ© ciblĂ©e, visant Ă  nous faire dĂ©penser toujours plus ?

Il n’est pas certain que le projet Libra aille au bout, tant s’allonge la liste des poids lourds qui se retirent petit à petit du projet (Mastercard, Visa, Paypal, Stripe, Ebay
).

NĂ©anmoins cela nous oblige Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  notre rapport en tant qu’individu Ă  l’Etat.

Symboliquement, quand on rĂ©alise que Facebook a prĂšs de 2 milliards d’utilisateurs, un monopole Ă©conomique souverain sur son segment, avec une monnaie officielle, que lui manquerait-il pour ĂȘtre le plus grand Etat jamais créé ?

N’oublions pas que la toute puissance des GAFA coĂŻncide avec un affaiblissement des institutions et une mĂ©fiance de plus en plus grande vis-Ă -vis du pouvoir rĂ©galien dont, par dĂ©finition, la monnaie officielle est l’une des constituantes.

L’Europe est-elle vraiment prĂȘte pour le stablecoin euro?

A la suite de l’annonce triomphante de la Banque centrale, trois dĂ©putĂ©s français pro-blockchain ont proposĂ© d’aller plus loin dans l’idĂ©e d’une crypto-monnaie « d’Etat(s) ».

Dans un communiquĂ© commun, Pierre PERSON (dĂ©jĂ  bien connu), Laure DE LA RAUDIERE et Michel MIS (tous deux dĂ©putĂ©s ayant participĂ© au rapport d’information sur la Blockchain) ont appelĂ© Ă  la crĂ©ation d’une monnaie virtuelle au niveau europĂ©en, qui serait Ă©mise par les banques commerciales:

Les entrepreneurs français que nous rencontrons nous disent qu’ils veulent un stablecoin euro, que cela n’aurait pas de sens pour eux d’ĂȘtre installĂ©s en France si toutes leurs transactions s’effectuaient avec un stablecoin adossĂ© au dollar.

Cela signifie-t-il que les Etats vont s’approprier la circulation des monnaies virtuelles, gràce au stablecoin?

Pas nécessairement.

La crise de légitimité de la Banque de France

Tout d’abord, le projet de stablecoin de la Banque de France est relativement circonscrit.

Cette « monnaie digitale de banque centrale » (MDBC) serait rĂ©servĂ©e exclusivement aux paiements entre acteurs du secteur financier : le grand public a donc peu de chance d’en voir un jour la couleur.

En outre, ne faut-il pas voir dans cette initiative une volontĂ©, tardive, de reprendre le contrĂŽle d’une monnaie qui lui Ă©chappe peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  complĂštement ?

Les banques centrales de tous Etats, y compris la banque de France ont Ă©tĂ© complĂštement dĂ©passĂ©es par l’émergence des crypto-monnaies. Leur position a longtemps Ă©tĂ© (et peut-ĂȘtre l’est-elle encore officieusement) conservatrice et excessivement mĂ©fiante vis-Ă -vis des monnaies virtuelles. On se souvient que jusqu’en 2018, la Banque de France n’a cessĂ© de crier sa mĂ©fiance Ă  l’égard des crypto-monnaies.

Dans un communiquĂ© de 2018, la Banque de France refutait l’utilitĂ© d’une « crypto-monnaie de banque centrale » :

Un tel projet n’est, Ă  l’heure actuelle, pas envisagĂ© au sein de l’EurosystĂšme, oĂč le billet reste d’un usage trĂšs rĂ©pandu et oĂč les utilisateurs disposent d’une large variĂ©tĂ© d’instruments Ă©lectroniques de paiement efficaces, sĂ»rs et innovants – Ă  l’image du virement instantanĂ©. De plus, une telle Ă©volution soulĂšve – au-delĂ  du traitement technique – des questions qui doivent encore ĂȘtre analysĂ©es en termes d’impacts sur la mise en Ɠuvre de la politique monĂ©taire, sur la structure du systĂšme financier, ou sur le nĂ©cessaire maintien d’un accĂšs – pour les populations les plus fragiles – Ă  des moyens de paiement non digitaux, comme le billet

La « menace Libra » l’aura forcĂ©e Ă  revoir sa position, mais n’est-ce pas dĂ©jĂ  trop tard ?

En outre, n’oublions pas que les banques centrales sont en partie responsables de l’émergence des crypto-monnaies en rĂ©action Ă  la crise des subprimes de 2008.

Or, pour reprendre cette cĂ©lĂšbre citation d’Albert Einstein :

Un problĂšme crĂ©Ă© ne peut ĂȘtre rĂ©solu en rĂ©flĂ©chissant de la mĂȘme maniĂšre qu’il a Ă©tĂ© crĂ©Ă©.

La Banque de France, comme toutes les banques centrales, souffre d’une crise de lĂ©gitimitĂ© qui n’en fait pas nĂ©cessairement le meilleur acteur de la transformation monĂ©taire.

Un concensus européen nécessaire au stablecoin euro

Toujours est-il que sur le plan europĂ©en, l’instauration d’un stablecoin est loin d’ĂȘtre gagnĂ©.

Tout d’abord, l’émission d’une monnaie virtuelle europĂ©enne officielle, indexĂ©e sur l’euro, nĂ©cessiterait des nĂ©gociations avec l’ensemble des Etats membres.

Aujourd’hui,  ce point ne semble pas ĂȘtre la prioritĂ© du gouvernement français.

Ensuite, l’émission d’un stablecoin europĂ©en implique le dĂ©veloppement d’une infrastructure des paiements intra-europĂ©ens et internationaux.

On en est encore loin, les banques commerciales ne s’étant pas montrĂ©es particuliĂšrement intĂ©ressĂ©es, en tout cas pour le moment.

Par consĂ©quent, force est de constater que l’idĂ©e d’un stablecoin euro tient plus du buzz que d’un projet concret.

 

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